C’est la nuit qu’il faut croire en la lumière” écrivait Edmond Rostand. Et après quatre années de bruit et de fureur trumpienne, l’élection de Biden pourrait sembler annoncer l’aube d’un renouveau démocratique. Mais les racines du mal demeurent susceptibles d’émerger à nouveau, plus près de nous cette fois.
Trump est tombé. Pourtant, ses mots, ses transgressions et sa violence demeurent. Les dommages qu’il a infligés aux valeurs démocratiques sont irréparables, et pas seulement aux Etats-Unis. Fait nouveau, le chef de la première puissance du monde n’a pas seulement utilisé la force brute, le chantage et la pression comme outils de domination. Il a revendiqué et placé au cœur de sa philosophie politique la loi du plus fort, écartant toute considération morale de ses actions. De l’encouragement de l’usage de la torture jusqu’au déni d’un résulat démocratique, seuls ont prévalu ses intérêts, ceux de sa famille, placée au coeur du pouvoir dans une démonstration inédite de népotisme et d’une certaine partie de ses soutiens. Cette politique authentiquement réactionnaire, anti-féministe, anti-écologiste, anti-sociale, a eu des conséquences désastreuses.De celles des proches de Georges Floyd jusqu’à celles des familles des victimes du Covid-19, le mandat Trump aura été le mandat de larmes. Autant de preuves d’empathie et de tendresse face à celui qui a fait de la force, de l’injonction à être “un winner”, de l’exclusion et, en un mot, de l’hypervirilité, l’alpha et l’oméga de sa pratique du pouvoir.
Sa défaite, franche quoique moins large qu’espérée, peut nous réjouir. Elle ne doit pas nous faire oublier que si tout recommence, beaucoup est à refaire. Le combat pour l’égalité sociale, contre le racisme, pour le droit à un environnement sain et durable… Tout cela était impossible sous Trump. Il ne sera pourtant pas évident sous Biden. L’ancien vice-président d’Obama est un libéral élu sur la promesse de ressouder l’Amérique. Mais “restaurer l’âme de l’Amérique” cela devrait d’abord faire l’inventaire de tout ce qui a pu permettre la victoire d’un Donald Trump.Déjà en 2008, la colistière de John McCain, Sarah Palain, avait usé des mêmes outils que Trump, des calomnies aux attaques verbales, faisant s’accumuler patiemment, comme tant d’autres acteurs du Tea Party, une haine islamophobe et anti-progressiste totale. Il est de notre devoir de constater que 2016 est venu de loin et que des milliers d’éditorialistes, d’intellectuel.les, de riches soutiens financiers et de responsables politiques ont instrumentalisé les colères d’une certaine partie de la “middle class” américaine en lui désignant des épouvantails grossiers mais trompeurs. Aux rejeté.es de la compétition économique permanente, aux absent.es des communs, Trump n’a proposé que de la haine. Mais le libéral Biden ne pourra apporter qu’un retour au statu quo, étouffant l’incendie sans l’éteindre.
Cette leçon s’applique à notre continent et, plus spécifiquement, à notre pays. La victoire de Trump fut préparée par vingt années de combat culturel mené main dans la main par le libéralisme à outrance du Tea Party et les idéologies conservatrices et racistes de l’extrême-droite américaine. Cette situation se retrouve aujourd’hui en France où chaque jour, nos digues républicaines et humanistes s’amenuisent. C-News, la télé de la haine, subventionne les élucubrations chimériques d’un Zemmour évoquant l’imminence d’une guerre civile. La couverture médiatique des conflits sociaux est le plus souvent négative, ce depuis longtemps. Même au sein de celles et ceux qui se targuent de défendre l’héritage des lumières, les discours sécuritaires gagnent irrésistiblement du terrain. A cet égard, l’article 24 de la loi sécurité globale que nous combattons avec ferveur, est le nouveau coin enfoncé dans notre Etat de droit pour le faire éclater.
Ce paysage est inquiétant. Mais si Donald Trump a été vaincu grâce notamment aux espoirs de la jeune gauche du parti démocrate, nous sommes, nous aussi, capables de prévaloir en Europe.
Pour cela, il faudra à nouveau livrer la bataille “les poings pleins d’idées” comme le disait Jean Jaurès. C’est-à-dire reprendre l’offensive des idées et des mots. Ne plus subirent des attaques réactionnaires et libérales mais contre-attaquer. Lorsque l’extrême-droite parle de “migrants”, dire “exilé.es”. Lorsque la droite évoque les “charges sociales” qui pèseraient sur le monde du travail, rappeler que ce sont plutôt des cotisations qui permettent une solidarité efficace et juste. A nous d’avancer en proposant des idées comme ce Revenu Universel qui a su dessiner un nouvel imaginaire de conquête et, ainsi, insuffler l’espoir. Tout cela est un chantier ambitieux. Il faudra beaucoup d’énergie, d’intelligence, d’enthousiasme et de bonnes volontés pour le mener à bien. Cela demandera aussi de savoir affronter nos adversaires. Certes, en choisissant les thèmes et lieux de batailles. Mais sans nous replier dans un entre-soi rabougrissant ou en bridant nos propositions d’une société du vivre ensemble. La tâche qui nous attend est ambitieuse. Mais c’est seulement par ce patient et utile travail de conquête des esprits et d’entraînements des cœurs qu’un futur désirable, autant synonyme de nouveaux droits que de redécouverte des communs, apparaîtra à nouveau possible au plus grand nombre.