Banane et canne à sucre : Quand l’économie postcoloniale française empoisonne les terres et les populations des Outre-Mer

Par Génération•s

On connait l’histoire du chlordécone aux Antilles, mais on parle moins de la quinzaine de pesticides de synthèse chimique pulvérisés sur la canne à sucre à la Réunion.

Aux Antilles ou à La Réunion, en parcourant les paysages, nous pouvons voir des champs de cannes et de bananiers. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Ces plantes ont été introduites à l’époque esclavagiste puis coloniale opérant ainsi le premier grand tournant dans l’histoire de l’environnement. L’exploitation de la banane et de la canne à sucre dans les Outre-Mer, reste liée à des conditions de travail extrêmement difficiles. Depuis le XVIIe siècle, la culture de la canne à sucre a façonné la vie de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion. 

Aujourd’hui, la banane, fruit le plus importé dans le monde, ainsi que la canne à sucre, sont au centre d’un agrobusiness. Ainsi, nous raconte-t-on que le sucre, le rhum et la banane sont devenus « deséléments essentiels d’un patrimoine culturel séculaire, transmis avec fierté de génération en génération », que ce sont désormais des secteurs économiques cruciaux pour ces territoires, et que sans ces monocultures, les Outre-Mer connaitraient une catastrophe économique, la filière de la canne représentant à elle seule environ 40 000 emplois directs ou indirects.

Des contradictions entre les discours « greenwashing » des lobbies et les faits. Des conséquences sanitaires et environnementales lourdes :

La filière canne dit se diversifier vers l’économie du développement durable, en particulier à la Réunion, en menant des recherches en matière de chimie verte dans la perspective de nouveaux débouchés notamment dans la cosmétique et les plastiques. Mais également en s’engageant dans la valorisation de tous les résidus et coproduits dans une perspective d’économie circulaire.

Cependant, ces productions sont extrêmement dépendantes des conditions climatiques, la banane étant vulnérable aux cyclones, la canne, aux risques de sécheresse. Le changement climatique devrait se traduire selon les prévisions par un allongement et une intensification des périodes sèches, ce qui pèsera négativement sur les rendements. Pour contrer le phénomène, les producteurs souhaitent donc accroître les surfaces irriguées. Mais il ne faut pas oublier que les départements et régions d’Outre-Mer que sont la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique, ont une superficie limitée. Vouloir compenser les effets du changement climatique en augmentant le volume par la mise en culture de nouvelles terres dans une logique extensive est impossible sous peine d’écocide et totalement suicidaire.

A l’heure où Monsanto multiplie les recherches pour produire sa banane en laboratoire, où les monocultures continuent de tuer la diversité, peut-on continuer à produire et distribuer dans n’importe quelles conditions ?

Nous y voilà. Pesticides de synthèse chimique, le gros mot est lâché.

Aujourd’hui les sols, les rivières, pollués pour des siècles, sont tellement imprégnés de pesticides que l’idée de produire « bio » semble impossible. On ne peut plus manger les écrevisses des rivières, pas plus que les ignames ou dachines (plantes racines locales) ou les produits de la pêche lorsqu’ils sont issus des zones où les pesticides ont pu s’accumuler dans les sédiments. Les monocultures de la canne et de la banane imposées par la colonisation aux Outre-Mer détruisent la santé des populations autant qu’elles les « tiennent » économiquement.

On connait l’histoire du chlordécone aux Antilles (voir notre communiqué de presse sur le sujet) mais on parle moins de la quinzaine de pesticides de synthèse chimique pulvérisés sur la canne à sucre à la Réunion.

Fabrice Nicolino, journaliste spécialiste des questions d’écologie nous alerte sur « les poisons qui endommagent pour des dizaines ou des centaines d’années les sols, et la santé des habitants, qu’ils soient hommes, bêtes ou plantes ». Importée au cours du XVIIIe siècle, la culture de la canne à sucre occupe aujourd’hui à la Réunion plus de 24 000 hectares, soit près de 60 % de la surface agricole utile. Près de la moitié des exploitations en cultivent. En 2015, 1 900 000 tonnes de canne ont été récoltées, faisant de la Réunion le principal producteur européen de sucre de canne, dont la quasi‑totalité est exportée.

Selon une étude de Santé publique France, Direction Santé Travail de février 2019 : « En 2014, 50 % des pesticides utilisés sur la canne sont potentiellement cancérogènes, reprotoxiques ou induisant une perturbation endocrinienne, cela concerne l’exposition a minima de 5 900 personnes. Les femmes sont nombreuses, elles représentent plus de 25 % des travailleurs agricoles concernés par des expositions à des pesticides perturbateurs endocriniens et reprotoxiques. »

L’amino‑phosphonates, dont la substance principale est le glyphosate, est utilisé depuis 1977 comme désherbant total, pour lutter contre le développement de certaines mauvaises.

« Entre 1977 (début de l’utilisation du glyphosate) et 2014 (fin de l’étude), il est possible d’estimer la quantité totale de glyphosate utilisée sur la canne à sucre à 232 tonnes de substance active. 7,5 tonnes par an ont été utilisées en moyenne depuis la fin des années 80. »

Toujours selon cette étude, « les effets toxiques sur la santé humaine, en lien avéré ou suspecté avec une exposition longue et répétée aux pesticides de la canne à sucre, sont très variés. Il peut s’agir du dysfonctionnement de certains organes (foie, rein, cœur…), de cancers, de mutations génétiques, de troubles de la reproduction, d’une perturbation du système endocrinien, etc. »

En 2010 sur l’ensemble des travailleurs agricoles de la canne à sucre à la Réunion, 88 % ont été exposés à au moins un pesticide considéré dans cette étude comme ayant des effets toxiques pour la reproduction ou cancérigènes ou perturbant le système hormonal.

À la Réunion, aucune analyse phytosanitaire de contamination des sols, aucune surveillance de pesticides dans l’air, faute de moyens, nous dit-on. Certains pesticides interdits dans l’Union Européenne y sont encore épandus, sous dérogation et pressions des lobbies de planteurs. Mais alors, que fait l’Etat français, celui-là même qui a signé les accords de Paris et pris des engagements lors de la COP24 ? A quand une politique ambitieuse et soucieuse de la santé des citoyens ? Combien d’années de glyphosate et de pesticides de synthèse devrons nous encore subir ?

Pour la préservation de notre environnement et la santé des populations, ce modèle de monoculture intensive imposé par la puissance coloniale, qui épuise les sols et enchaîne les économies locales – alors même qu’il est tourné quasi exclusivement à l’export- ne doit-il pas être repensé afin de retrouver un équilibre économique et écologique à travers la diversification des cultures ?

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